Kuisiner, ça passe aussi par lier la sauce francophones-Flamands. Or, ces derniers ne sont pas toujours là où on les attend. Stephanie, Katrien et Joris sont très attachés à Liège, leur ville d’adoption, qu’ils apprécient pour sa richesse coolturelle et architecturale. La Cité ardente en une recette ? « Un plat revisité, vite fait, bien fait. Avec une noquette de tradition et une bonne pincée de rock’n’roll. Peut-être une mousse au chocolat, bien battue, à la fois légère et savoureuse. »
Aucun risque de mourir de soif ou de faim avec ces trois-là. Rendez-vous pris pour l’apéro chez Festin, cantine rétro ouverte en novembre dernier à Liège par Stephanie Wouters. Pour accompagner le vin blanc effervescent de Luyck, Stephanie a préparé des miniburgers de carbonade flamande, crumble d’épices, graines de moutarde et mayo maison, façon sandwich Reuben. « Un délicieux sandwich garni de pastrami, choucroute, emmental et sauce russe. Le genre de trucs qu’on mange dans un Delicatessen, ou Deli en abrégé. C’est un concept très répandu à New York, à mi-chemin entre l’épicerie fine et le restaurant-traiteur, dont je me suis inspirée pour lancer Festin », explique Stephanie. « J’en avais marre d’Anvers, j’ai suivi un ami qui déménageait à Liège… »
Frère et sœur, Katrien et Joris Dubois sont nés à Hasselt. Ils ont créé Luyck, un chai urbain en plein cœur de Liège, dans des caves voûtées du XIIIe siècle classées au patrimoine. C’était en juillet 2021, la semaine des terribles inondations. Animés par la passion du vin, mais aussi par l’envie de bousculer les codes viticoles, les Limbourgeois ont reproduit un concept californien qui consiste à élaborer des vins « au plus près de ceux qui les boivent ». Des vins d’auteur, qui sont le résultat d’un assemblage décomplexé de plusieurs cépages issus de vignobles européens (belges, italiens, allemands, hongrois…). Installé à Liège depuis 17 ans, Joris a été rejoint par sa sœur il y a trois ans. « J’avais besoin de changer d’air et je sentais que mon frère prenait goût à la vie liégeoise… J’habitais à la campagne, je ne me sentais pas très citadine. Aujourd’hui, je vis dans l’hypercentre et me déplace principalement à pied. »
La campagne à Chevron, un village situé dans la commune wallonne de Stoumont, n’a pas été totalement supplantée par la ville, puisque Katrien et Joris y cultivent leurs propres vignes depuis 2019 sur la parcelle de leur maison de vacances familiale. À 420 mètres d’altitude, ce vignoble est le plus haut du pays. Il offre un sol riche en schiste, plus acide que les sols de Hesbaye qui accueillent pas mal de vignes en ce moment. « Nos vignes y poussent lentement, mais les raisins (chardonnay, pinot noir, pinot auxerrois et pinot meunier) tirent parti de la fraîcheur conférée par l’altitude pour gagner en minéralité. Avec des températures plus élevées, on monterait en sucre, et donc en alcool, ce qui ne nous intéresse pas. »
En attendant leurs premières vendanges à Chevron prévues pour 2024, Katrien et Joris ne manquent pas de projets. Ils sont sur le point de lancer un vin rouge effervescent, de type Lambrusco, fruité, mais très sec. « La boîte de com’ liégeoise Globule Bleu a imaginé une étiquette plutôt cool, avec une femme au regard sexy sur une moto. On voulait donner à nos bulles rouges le nom d’une Italienne au caractère bien trempé. On avait d’abord pensé à Rosetta, mais nos amis liégeois l’associaient au film des frères Dardenne, ce qui témoigne d’un certain choc culturel entre francophones et Flamands… Alors on a fixé notre choix sur La Cardinale, en clin d’œil à Claudia, une femme fatale, voluptueuse. Le Nero d’Avola, originaire d’Italie, est travaillé et fermenté à Tongres, puis élevé dans nos barriques à Liège. Le vin est ensuite mis en bouteille et élevé sur lattes dans nos caves. Il sera donc passé par la Flandre et la Wallonie », détaille Katrien. Difficile de faire plus belge pour le duo qui travaille en famille. « On a l’avantage de pouvoir se dire beaucoup de choses. Parfois ça vire au clash, mais c’est rare. À 42 et 44 ans, on devient plus matures », répond Joris. « On est complémentaires : Joris prend les choses comme elles viennent, il cherche toujours des solutions. C’est d’ailleurs comme ça qu’est née notre urban winery : l’idée vient de moi, mais c’est Joris qui l’a concrétisée grâce à ses contacts, son réseau, son audace, son esprit d’entrepreneur », se réjouit Katrien.
C’est au Grand Café de la Gare, situé au cœur de la gare des Guillemins, que nous avons ensuite dîné. Une brasserie-restaurant au cadre sobre et à la cuisine authentique et généreuse, directement inspirée de la tradition culinaire liégeoise, appréciée par Joris. « Une gare est un lieu de stress, on surveille l’heure en permanence pour ne pas rater son train. Le Grand Café de la Gare, c’est tout le contraire. C’est un lieu de détente, très confortable. À Liège, j’aime aussi beaucoup le restaurant L’Asti ou Le Bistrot d’En Face pour l’ambiance et le service d’époque. Ce genre d’établissement n’existe plus à Hasselt. Liège a conservé un côté épicurien qui fait sa singularité. En périphérie liégeoise, j’adore Les Coudes sur la Table, tout y est parfait, sans tomber dans le service BCBG de 12 plats. Ou encore Kiosq à Cointe. »
Stephanie partage cet avis : « C’est tout à fait ça ! Tu ne trouveras plus de rognons à Anvers ! Plus personne n’ose, tout se ressemble. Avant, c’était super chouette, maintenant c’est devenu trop rangé, trop léché. J’ai étudié l’art et je travaillais dans un bar à côté de l’Académie. L’endroit était cool, les gens chaleureux, on y respirait un certain art de vivre. Heureusement, il reste le Verloren Maandag, une fête traditionnelle dans la province d’Anvers qui se déroule début janvier, le lundi qui suit l’épiphanie. Ce jour-là, tout le monde mange des apple balls (une pomme enveloppée dans une pâte feuilletée et cuite au four) et des pains saucisses.«
Bien ancrés en Wallonie, les trois Flamands n’ont pas perdu le nord pour autant. La preuve avec de belles collab’ liégeoises. « Nos vins sont en vente dans les épiceries Uhoda de Beaufays et des Vennes. Un peu dans l’Horeca aussi, notamment à La Cafétaria, à La Parra, au Vinicurien et au Van Der Valk Sélys. Nous avons élaboré avec le sommelier de cet hôtel un vin sur mesure, élevé dans une barrique unique. Une collab’ est également prévue avec les bières Marcus de Marc Ravet, on va élever sa saison dans nos barriques. En tout, 300 bouteilles de 75 cl seront commercialisées pour les fêtes de fin d’année. » Et Stephanie d’ajouter : « La collab’ Festin x Luyck voit le jour aujourd’hui. Je vais proposer les cuvées de Katrien et Joris dans mon restaurant. C’est tellement agréable de bosser avec des gens dont on partage la philosophie. »
Au moment du dessert – un café liégeois préparé à base du café Charles Liégeois torréfié dans la province de Liège, what else ? – on se met à rêver du casting idéal à notre table. « Georges Simenon, un Liégeois qui connaissait sa ville à fond et débordait d’imagination. J’aurais aimé l’écouter parler de certains quartiers, l’entendre notamment évoquer son enfance en Outremeuse », répond Joris. « Ou tante Jeanine qui, du haut de ses 80 ans, adorait aller manger un bout à L’Écailler ou au Concordia« , ajoute Katrien. Pour Stephanie, il s’agirait de son arrière-grand-père qu’elle n’a jamais connu, mais qui est resté dans la légende familiale pour son manque de patience. « Dans la famille, on aime raconter qu’un jour au restaurant, il a commandé une dame blanche avec une sauce béarnaise, et qu’il a tout dévoré en même temps. Il faisait beaucoup de bêtises dans ce genre-là, c’était sa façon d’être. Il avait toujours un cigare avec un chapeau à la Hitchcock et roulait dans de magnifiques voitures… »
FESTIN. Boulevard d’Avroy, 238 à 4000 Liège. Du lundi au vendredi, de 10 à 16h. Festindeli.com
LUYCK. Rue Saint Hubert, 25 à 4000 Liège. Du mercredi au samedi de 14h à 18h30. Dégustations chaque samedi à 12h ou sur réservation. Luyck-urban-winery.be/fr
GRAND CAFÉ DE LA GARE. Rez-de-chaussée de la gare des Guillemins à 4000 Liège. 7 jours sur 7. Grandcafedelagare.be
À l’initiative du Groupe Uhoda, en collaboration avec la SNCB et avec le soutien de partenaires publics et privés, la gare de Liège-Guillemins accueille jusqu’au 31 octobre 2023 une œuvre magistrale signée Daniel Buren. Conçue en harmonie avec l’architecture singulière de Santiago Calatrava, cette installation se déploie sur la toiture voûtée à travers un jeu de couleurs, de contrastes, de projections, de reflets. Une manière de décloisonner l’art contemporain en le rendant accessible au plus grand nombre.